Le sabre, arme par
destination dérivée de l'outil :
Par essence, une lame à
double tranchant est uniquement guerrière ou, du moins, meurtrière :
les deux tranchants limitent les zones de frottement sur la cible (il
n'y a pas de dos de lame plat, qui est inutile lors de la
pénétration, mais un second tranchant qui, comme le premier, entame
la chair) et permettent donc une pénétration plus aisée,
augmentent les dégâts causés en permettant d'atteindre plus de
surface et donc plus d'organes ou d'artères, autorise n'importe
quelle tenue de l'arme sans se soucier de l'orientation du tranchant,
etc. Même au moyen-âge, période durant laquelle le banditisme de
grand chemin était plus développé qu'actuellement et qui subissait
une criminalité urbaine équivalente à celle qu'on connaît de nos
jours en plus des troupes sans chefs qui pillaient les terres, des
pirates qui remontaient les fleuves, des mercenaires en maraude et
des chevaliers-brigands, il était rare pour un homme du peuple de
devoir tuer un homme et il n'avait généralement pas le droit de
chasser. Il n'avait donc aucun intérêt à posséder un objet
clairement meurtrier ou martial.
Par contre, on avait
toujours besoin d'un outil universel et cet outil, c'est le couteau.
Muni d'une lame à simple tranchant (puisqu'un double tranchant est
inutile, voir gênant), il sert aux tâches usuelles, à l'entretien
du corps, à la nutrition et éventuellement à la défense face à
un animal (y compris bipède). Dans le milieu artisanal ou agricole, il est de grande
taille, parfois grand comme une épée (auquel cas son simple
tranchant en fait, de facto, un sabre), sert pour toutes sortes de
tâches allant de l'élagage des arbres à la défense rapprochée,
en passant par le débitage d'une carcasse ou le fendage d'une bûche.
On s'en sert pour tailler un pare-feu ou une voie dans une forêt,
creuser une tranchée autour d'un campement, former des fascines de
branchages, s'exercer physiquement en pratiquant l'escrime, faire
levier pour soulever une pierre, enfoncer un clou, etc. En fait, on
s'en sert pour tout et il en existe un nombre incalculable de
déclinaisons : couteau de vannier, sabre d'abatis,
équarrissoir, feuille de boucher, faux à main (opposée à le faux
sur hampe), fendoir, hachoir à viande, couteau de vénerie, couteaux
de bouchers divers (dont certains ont des dimensions
impressionnantes, comme le couteau « batte » destiné à
découper et attendrir de gros quartiers de viande et muni d'une lame
d'environ 50 cm), couteau de charpentier et encore bien d'autres.
Lorsqu'on était recruté
dans l'« ost », une sorte d'armée de conscrits, on
n'avait pas forcément de dotation armurière et il n'était pas
toujours possible de contracter un prêt pour s'armer. Ainsi, le
pauvre devait se contenter de ce qu'il avait : un soc de charrue
fixé au bout d'un tronc de châtaigner, un sabre d'abatis (une
machette) et un couteau utilitaire de moyenne longueur (12 à 15 cm
de lame) auxquels il ajoutait éventuellement un gourdin fait d'une
grosse branche et même des couteaux de table et des pics à viande
(l'ancêtre de la fourchette) et quatre ou cinq mètres de cordelette
qu'il tressait durant son temps libre pour en faire une fronde, arme
de fortune mais néanmoins très efficace. Ainsi, d'outils agricoles
transformés ou utilisés sous leur forme originelle, naquirent
(respectivement et au fur et à mesure du temps) la vouge, le malchus
(terme perdu de nos jours et qu'on remplace par « fauchon »,
d'où la confusion avec l'authentique fauchon. "Malchus" est déjà le nom du grand couteau/sabre d'abatis avant même qu'il n'évolue vers un type d'arme par nature), le poignard, la masse
d'arme, le stylet et le gibet (fronde militaire montée sur hampe).
Ces objets sont des
armes de facto, parce qu'il faut se rendre à l'évidence : un
objet n'a pas besoin d'être une arme, un objet spécifiquement
meurtrier, pour tuer. Fred Perrin, grand nom du combat rapproché
actuel, enseigne dans son ouvrage « Combat à l'Arme Blanche »
que le « couteau de combat » se définit comme « le
couteau avec lequel on se bat ». À partir de cette définition
et avec un minimum de bon sens, il apparaît comme évident qu'un bon
couteau de cuisine n'a rien à envier à un quelconque poignard
spécifiquement destiné à tuer : on fait entrer le bout pointu
dans la cible, elle meurt. Alors le sabre d'abatis, le couteau paysan
qui est plus connu de nos jours sous le nom de « machette »,
devient une arme à part entière. Au moyen-âge, on en compte de
très nombreuses déclinaisons, dont les plus connues sont le
« messer » germanique, le « scramasaxe »
franc et scandinave, le « breekmes » ou « breecmes »
des peuples de l'actuelle Belgique et qui donnera le « braquemard »
(dont le nom aura plusieurs signification au cours du moyen-âge).
Le scramasaxe tient son
origine à la fois dans les épées à simple tranchant de
l'antiquité que nous avons évoquées dans le chapitre précédent,
dans le couteau agricole et dans le couteau de la vie de tous les
jours (ce qu'on nomme actuellement le « EDC », « Every
Day Carry », le couteau à porter en permanence). On le trouve
dans de nombreuses formes et longueurs qui ont été classifiées par
Wheeler (formes de lames) et Schmitt (longueur et largeur). On le
trouve à partir du VIe siècle mais il a existé des formes
prototypes et transitionnelles avant cette période. Il perdurera
jusqu'aux environs du XIIe siècle, à la fin duquel il laisse place
à des armes plus évoluées, pertinentes ou, tout simplement, plus à
la mode. Le scramasaxe se trouve en toutes tailles de lames, de 10 à
85 cm. Les modèles civils ont des poignées goupillées rappelant
les sabres plus tardifs d'Europe de l'Est ou les sabres japonais, avec des
lames à simple tranchant très élégantes de forme clip-point ou
drop-point (selon région, époque et peuple utilisateur). Tous en
portaient et, fatalement, vint un jour où, à force de l'utiliser
comme arme d'appoint (et même souvent comme arme principale), les
guerriers ont fini par le « militariser ». Ont alors
existé parallèlement des modèles construits comme de réelles
épées, avec gardes et pommeaux, et des modèles dits « civils »,
fabriqués comme des couteaux et qui, eux, n'étaient pas limités au
rôle martial. Le scramasaxe a été une des armes les plus répandues
du moyen-âge, on en trouve de Paris à Kiev et d'Aberdeen à Naple.
Les guerriers utilisaient des scramasaxes comme armes principales,
même ceux qui avaient les moyens de s'acheter une épée et il était
fréquent (sinon parfaitement conventionnel) d'utiliser le scramasaxe
et l'épée (ou deux scramasaxes) dans un duo rappelant le daïsho
japonais ou les akinakès (là aussi de deux longueurs différentes)
des guerriers Scythes. Les différentes longueurs et largeurs de
lames portent des noms spécifiques comme « schmalsax »
(petit), « breitsax » (large), « langsax »
(long), etc. Du scramasaxe de grande longueur, les scandinaves ont
apparemment dérivé une épée à simple tranchant, sans courbure, à dos droit,
dont les dimensions et l'esthétique sont exactement les mêmes que
celles de leurs épées à double tranchant. On retrouve donc un
schéma semblable au fauchon (une arme à simple tranchant mais
construite comme une épée, avec les mêmes éléments de monture et
suivant les mêmes modes au fil du temps) chez les vikings du VIIe au Xe siècle mais, contrairement au fauchon qui a toujours été une arme, on assiste là à l'évolution d'un outil pour en faire une arme. Cette forme de sabre droit, qui n'avait alors plus
vraiment rapport avec le scramasaxe (sinon son simple tranchant), a eu
beaucoup de succès en Norvège.
Le messer germanique a
connu une histoire similaire. Plus tardif, il a été utilisé du XIV
au XVIe ou XVIIe siècle et a connu de nombreuses déclinaisons. Les lames
sont, là encore, aussi bien drop-point que clip-point et la poignée,
disposant d'une garde et d'un pommeau (ou plutôt de deux mitres, en
vérité), est montée à plate semelle et maintenue par des
goupilles, souvent tubulaires (donc creuses). Ce type de monture est
caractéristique du couteau et non de l'épée ou du sabre. Les lames
mesurent environ 50 à 70 cm, disposent d'un simple tranchant et sont faiblement ou pas du tout courbées, les
gardes ont ou non des quillons. Le terme allemand « messer »
signifie « couteau ». C'est un outil agricole qui servait
aux diverses tâches de la vie aux champs et à la protection
rapprochée (on parle parfois de "hausswehr", "arme de la maison", sous entendu "arme pour la défense du domicile"). De la même manière que le scramasaxe, le messer a été
utilisé au combat et, de fait, il est devenu au cours du temps une
réelle arme, utilisée par les guerriers de métier et même les
nobles, qui d'ailleurs semblent avoir beaucoup apprécié ses
qualités comme arme de chasse (car à l'époque il était fréquent
de chasser au corps à corps, donc à l'épée, au sabre, au
couteau). Un pan entier de l'escrime de l'époque lui est dédié et
c'était une arme regardée avec respect et considération. Très
rapidement, les quillons discrets se sont allongés pour former une
garde suffisante pour le combat et un troisième quillon (qu'on appelle parfois "palmette", d'où le nom de "garde à palmette" qu'on donne à ce type de monture), recouvrant
le haut et parfois le dos de la main, est apparu pour opérer des
parades selon la méthode prescrite par les manuels d'escrime, qui
préconisaient un maniement très aérien et des gestes fluides,
profitant de retournement et de rotations du sabre pour présenter,
selon l'action à opérer, le dos ou le tranchant. Cette manière de
mouvoir l'arme n'est pas sans rappeler le maniement de certains
sabres chinois ou celui de la canne courtoise française de l'ancien
régime (il faut aussi préciser que la coupe étant un principe physique, il n'y a pas des centaines de manières de manier un objet tranchant, quelle que soit sa forme, mais une seule : celle qui permet de mettre en oeuvre ce principe physique. Ainsi, l'escrime à l'arme X n'est jamais vraiment différente de l'escrime à l'arme Y, quel que soit le peuple, l'époque, la forme de l'arme). L'objet, alors devenu une arme à proprement parler, a connu
de nombreuses formes, allant du « grossemesser » (« grand
couteau »), la forme originelle (poignée tenue à une main et
lame de 50 à 70 cm environ), au kriegmesser (« couteau de guerre »)
tenu à deux mains par une poignée d'une trentaine de centimètres
et à lame de 90 à 120 cm, en passant par le « langmesser »,
tenu lui aussi à deux mains mais de taille intermédiaire entre les
deux précédents-.
« Breecmes » est le nom donné au
messer par les actuels belges et hollandais. Il a donné
« braquemard » en français, terme qui a d'abord désigné
des sabres du même type puis des « fortes épées »,
terme rapportant aux épées à lames larges et relativement courtes
ayant côtoyé les premières rapières lors de la renaissance. Ont
dérivé du messer un certain nombre de sabres de styles esthétiques
disparates ayant eu du succès auprès des chevaliers et mercenaires
du XVe au XVIIe siècle et qui étaient des armes clairement désignée
et non plus des outils agricoles détournés de leur usage par
nécessité.
Des équivalents au
messer germanique ont existé à la même époque et même avant en
Europe (le terme « messer » et la forme qu'on lui connaît
datent du XIVe siècle, mais les germains utilisaient déjà des
sabres d'abatis avant cette date, évidemment, comme tous les autres
peuples) et on les appelait « malchus » en France, en
Grande-Bretagne et dans le Saint Empire Romain-Germanique. De forme
très proche du fauchon de Conyers (notamment la lame), on les
appelle aujourd'hui très souvent, et improprement, « fauchon ».
Ils se distinguent de l'authentique fauchon par la présence
embryonnaire, voire l'absence totale, de quillons sur leur garde, qui
est donc une simple mitre, et de réel pommeau qui, lorsqu'il n'est
pas tout simplement absent, se limite à un capuchon qui termine la
poignée (comme sur le messer, d'ailleurs). Ils ont eux aussi été
utilisé à la guerre mais, là, uniquement par le bas-peuple puisque
les nobles et les guerriers de métiers avaient déjà une arme de
très exactement même forme mais plus évoluée et clairement dédiée
au combat : le fauchon.
On utilise aussi le
terme fauchon, là encore improprement, pour désigner tout type
d'arme trop longue pour être un couteau et à simple tranchant. Le
terme exact est « ensis », un mot tiré du latin qui a
très exactement cette signification : tout ce qui n'est pas
clairement une épée mais est trop long pour être un couteau.
L'exemple le plus connu est le « fauchon de Maciejowski »,
une arme qui présente plus de similitudes avec certaines feuilles de
boucher ou avec un équarrissoir qu'avec un fauchon, mais l'habitude
d'utiliser ce terme à tort et à travers a fini d'entériner cette
appellation. L'arme existe en de nombreuses déclinaisons, on la voit
aux mains de miliciens, paysans et guerriers de métier mais pas chez
les chevaliers. La lame dispose d'un tranchant et d'un dos droits ou
légèrement courbés, de manière abrupte, dans une courbure
rentrante (pour le tranchant) ou sortante (pour le dos) de faible amplitude. La pointe n'existe pas puisque la
lame finit par un plat et le dos rejoint la pointe après un ou
plusieurs décrochés successifs formant de petites pointes dont
l'utilité reste à confirmer. Cette forme rappelle beaucoup les
feuilles de boucher, qui disposent d'une lame massive, d'un tranchant
droit, d'une pointe inexistante et éventuellement d'un ou plusieurs
décrochés du même type servant à creuser, décoller la viande de
l'os et briser les os. Cette forme étonnante a valu à l'arme d'être parfois nommée "feuille de houx". Cette arme atypique au succès grandissant ces quelques dernières années existe depuis les années 1160 au moins, puisqu'elle est représentée sur un bas relief de la Porta Romana du château Sforzescco à Milan. Des exemplaires de la taille d'une feuille de boucher, et identifiés comme tels, ont étés datés du VIIIe ou IXe siècle après leur découverte en Lombardie. Un essai que j'ai pu consulter sur les sabres médiévaux, trouvé au hasard de recherches et malheureusement anonyme et incomplet, témoigne de l'existence d'objets de ce type vus dans des catalogues de ventes aux enchères. Malheureusement, je n'ai pu jusque là en trouver aucunes photographies.
La bible de Maciejowski présente aussi un
certain nombre (deux ou trois représentations au moins) de sabres semblables à des faux montés sur une
poignée d'une trentaine de centimètres et dont ont aurait
redressées les lames pour que le dos soit droit. En découle un
sabre sans courbure ou à courbure sortante très faible dont le dos
de la lame semble renforcé par un jonc (bulbe formé par le dos de la lame. Cette forme sert généralement à renforcer la rigidité de la lame, mais elle ne se voit pas au moyen-âge. Peut-être que ce n'est, en vérité, que le prolongement de la douille qui sert au montage de la poignée, comme sur une lance). La poignée est montée sur
douille, renforçant l'impression d'une faux transformée. Néanmoins,
l'efficacité de cette lame, montrée par le dessin d'un chevalier
armuré de mailles coupé en deux d'une hanche jusqu'au milieu du
ventre par un coup d'une telle arme réfute l'hypothèse de la faux
redressée, puisque les faux ne sont pas faites d'acier trempé mais,
au contraire, d'acier doux non trempé (ceci dans le but de pouvoir
les réaffûter sans enlever de matière avec un simple marteau et
une petite enclumette à fixer sur le pieds et donc les faire durer
dans le temps, car le métal était cher. Couper des végétaux est une réelle épreuve pour un outil tranchant, ainsi il aurait fallu réaffûter (et donc enlever un peu de matière) très régulièrement si la faux était constituée d'acier dur et trempé). Une coupe efficace,
surtout sur une protection métallique, demande une lame dure qui ne
peut donc être celle d'une faux puisque les lames de faux, en plus
de ne pas être durcies par la trempe, sont faites d'acier doux et
donc mou. On note donc un objet dont on ne sait pas si c'est une arme
atypique, un outil inconnu détourné de son usage ou une arme de
fortune. C'est peut-être même une vue de l'esprit de
l'illustrateur. Beaucoup de ces armes sont aussi vues montées
sur des poignées pour une ou deux mains, dont les célèbres
« manches de parapluies », mais aussi sur des hampes
courtes, rappelant le « couteau de brêche » et la
« vougesse » (tous deux désignant des vouges ou dérivés
montés sur des hampes courtes).
La place du sabre en
Europe médiévale :
Nous avons vu que les
déclinaisons du sabre en Europe étaient très nombreuses durant le
moyen-âge. On peut même avancer qu'il y avait bien plus de sabres
que d'épées. Certes, on sait de nos jours que l'épée n'était pas
l'apanage des nobles et que tous ceux qui avaient le droit de
posséder pouvaient accéder à l'épée (pour peu qu'ils en aient
les moyens financiers et y trouvent un quelconque intérêt), de plus
on note que, si le sabre est très présent dans l'iconographie, il y
a sans conteste cent fois plus d'épées représentées dans les
ouvrages d'époque. Néanmoins, tout comme c'est le cas de nos jours,
l'épée avait au moyen-âge un attrait esthétique, c'était un
symbole. Il apparaît donc comme normal qu'elle soit plus
représentée. Les trouvailles montrent que les sabres sont rares,
mais ceci est aussi dû au fait que la majorité de ces sabres
étaient des outils paysans et, donc, étaient reforgés à la fin de
leur existence pour donner une nouvelle lame, plus à la mode ou plus
pertinente en terme d'emploi (le fils d'un fermier n'était pas
forcément fermier. Si il devenait charpentier, il utilisait le vieux
sabre agricole de son père pour le faire reforger en hache, par
exemple). On ne pouvait pas toujours, et même jamais, se permettre
de conserver un kilogramme d'acier inutile alors que le métal
coûtait très cher. Il apparaît donc comme évident qu'on en trouve
si peu dans les fouilles archéologiques. Il ne faut aussi pas oublier qu'un outil reste un outil : le sabre du paysan est certes un sabre mais, surtout, il est paysan. Sa forme est étudiée pour assurer un rôle précis, rôle qu'une épée à double tranchant n'aurait pas pu remplir puisqu'elle-même est étudiée pour un autre rôle. Ainsi, il est normal qu'à choisir, le paysans, même pour s'armer en cas d'éventuel combat, aurait choisi non seulement l'objet qu'il a à portée de main, mais aussi l'objet qui lui est le plus familier : un sabre.
Très répandu auprès
du peuple, le sabre était donc plus fréquent, pour le quidam, que l'épée
à double tranchant qui restait un objet clairement meurtrier,
guerrier, et donc cher (parce que fabriqué avec bien plus de soin et
des techniques plus évoluées que le matériel agricole) en plus
d'être inutile. Son efficacité tout a fait raisonnable (après
tout, c'est une lame comme une autre : elle tranche et se
plante, ainsi que toutes les autres) l'a mené à connaître des
déclinaisons purement militaires qui lui ont donné grâce auprès
des guerriers de métier. De plus, ceux-ci ont toujours apprécié
les avantages d'une lame à simple tranchant, qui permettait
d'utiliser le dos pour opérer des parades efficaces ou pour appuyer
la taille en plaçant sa main dessus, et en ont toujours utilisé (même avant que des sabres paysans et des grands couteaux ne soient transformés en sabres guerriers). Le fauchon authentique
atteste du succès, certes limité mais tout de même notable, du
sabre auprès de la noblesse. Alors que la troupe, après la
renaissance, se mettait à utiliser des fusils et ne se battait plus
qu'à la baïonnette, la cavalerie s'est très rapidement et sans
difficulté mise à utiliser massivement le sabre plutôt que l'épée,
ce qui témoigne de l'habitude que les guerriers avaient déjà de
cette forme d'arme. Lorsque les européens ont connu « Cipango »,
le Japon, les sabres qu'on y utilisait étaient très appréciés des
arrivants, qui en ont ramenés chez eux et les ont même copiés.
Deux exemplaires très richement décorés conservés au musée du
chevalier de Dresde, en Allemagne, attestent de cet attrait pour le
sabre, arme à la fois bien connue et exotique. On notera aussi une grande diversité de sabres montés comme des épées (donc, par définition, des fauchons) à partir du XVe siècle, où on en trouve de toutes tailles et de toutes sortes, aussi bien destinés au combat qu'à la parade. Les mercenaires germaniques, italiens et français en étaient de grands utilisateurs et ils étaient parfois aussi fréquents dans leurs rangs que les épées longues à double tranchant, qui connaissaient elles aussi, à cette époque, une grande variété de formes et de styles.
Enfin, on notera que le
moyen-orient connaissait l'inverse : alors qu'à partir du XIVe
siècle le sabre se généralise et supplante l'épée, qui
disparaîtra presque totalement, on trouve tout de même certains
modèles fabriqués sur place ou importés d'Europe. Le musée
d'Alexandrie en conserve plusieurs, classées selon Oakeshott comme
des épées de type « XVIIIc », un genre sous-représenté
dans les trouvailles européennes mais fréquent dans l'iconographie et, surtout, caractéristique de l'idée qu'un profane se fait de l'épée européenne : élégante, mais massive, imposante.