La
scène de dédicace est généralement placée entre le premier et le dixième folio.
Elle permet d’identifier le commanditaire,
un roi ou un prince, dans son patronage artistique et une politique
littéraire. Du IXe au début du XVIe siècle, la valeur esthétique de la scène de
dédicace évolue selon les règnes. Le point de vue des enlumineurs reflète, avec
toute la gestuelle d’une cérémonie, l’attitude d’un souverain lettré. A maintes
reprises, le roi lettré figure avec l’auteur-rédacteur et le traducteur qui
remet son travail. L’objet livresque, représenté fermé ou ouvert, est soumis à
l’autorité royale qui peut juger l’intérêt du texte et la qualité visuelle des
enluminures.
Comment
le roi se fait représenter ?
Les
principaux éléments qui composent les dédicaces, l’architecture et le mobilier,
constituent l’écrin de l’objet livresque et celui du roi lettré telle que
l’image nous les montre. Dans cet environnement, le souverain se pare en
conséquence. Les costumes expriment aussi un comportement. On peut mettre en
avant deux exemples. Charles V (1364-1380) revêt la robe universitaire des
sages tandis qu’à un siècle de distance, Charles VIII (1483-1498) utilisait
l’habit royal du sacre.
L’iconographie
différencie le geste intime du geste cérémoniel. Le roi figure en tête du livre
parce qu’il fédère un groupe. C’est une personne autour de qui on se réunit
pour un rituel, une cérémonie. A la fin du Moyen Âge, les enlumineurs et les
peintres proposent différentes re-présentations publiques du roi. C’est une
position qui lui permet d’affirmer son autorité et de signifier ses engagements
politiques et littéraires. La scène de présentation de manuscrits s’ouvra ainsi
sur un nouvel espace, une cérémonie de cour.
Charles
le Chauve (840-877) est le premier roi franc à être peint dans une scène de
dédicace.
Fig. n°1 : Charles le Chauve reçoit la
Bible des moines de Saint-Martin de Tours que Vivien a commandé pour l’offrir
au roi franc. Paris BNF latin 1 fol.423.
En
France, nous devons attendre le XIIIe
siècle pour voir un capétien représenté
dans ce genre de peinture. Et c’est le prince héritier, le futur Louis VIII
(1187-1223-1226) qui reçoit le Carolinus
des mains de Gilles de Paris (1160 ?-1224) vers 1200. Le livre est mis en
abîme, c’est-à-dire ouvert. Les quatre vertus Justice, Providence, Fortune et
Tempérance sont personnifiées par des femmes. Les scènes sont toutes peintes
dans des médaillons à large bordure.
Fig. n°2 : Le prince héritier Louis
(futur Louis VIII) recevant le Carolinus de Gilles de Paris vers 1200. Paris,
BNF latin 6191 fol. VIIv.
Au
XIVe siècle, les conseillers royaux rédigent pour le roi des traductions. Ils
travaillent à demeure. Le schéma traditionnel des dédicaces change. Charles V
aimera se faire représenter en sage, accordant audience à ses proches
conseillers, en privé.
Charles V recevant le Songe du Vergier
d’Evrart de Trémaugon, Maître de la Bible de Jean de Sy, Paris, 1378, Londres,
British library, Royal 19 C IV folio 2
A la
fin du Moyen Âge, les peintres de manuscrits composent l’image d’un roi entouré
de protagonistes. Des modèles traditionnellement religieux, comme la majesté
sacrée réservée au Christ et à l’empereur, sont utilisés pour les scènes de
dédicace. A la fin du XVe siècle, le roi de France affirme par l’image qu’en
plus d’être lettré il est sacré. La présentation du manuscrit devient une
cérémonie de cour à part entière. Le dédicataire royal est figuré avec les
insignes du sacre, regalia et manteau
royal. Les costumes et les décors participent amplement à l’identification d’un
cérémonial présidé par le roi. Avec Charles VIII et Louis XII, le roi lettré
renoue pleinement avec l’image du roi qui est l’oint du Seigneur et empereur en
son royaume.
Louis XII (1462-1498-1515) reçoit la
traduction de Claude de Seyssel de la Cyropédie de Xénophon, Maître de Philippe
de Gueldre, vers 1505-1508, Paris, BNF français 702 folio 1