Hommage à un humaniste
(1) De proprietatibus rerum
Belle illustration du Livre XIX qui constitue un appendice sur les accidents ou la science de la nature : Dans cette distinction philosophique entre état et essence, la couleur relève du domaine accidentel. Les accidents spirituels étant des facultés ou des connaissances acquises.
Le traité est une compilation de Boèce et de Isidore de Séville et a pour prétention de faire connaître la nature et les propriétés des choses répandues dans les oeuvres des saints et des philosophes. Il a été écrit entre 1230-40 par Barthelémy l’Anglais (Bartholomaeus Anglicus) et traduit Jean Corbechon, de l’ordre de saint Augustin, en 1372. Il s’agit d’une collection d’images pour la prédication.
Il est aussi intéressant de voir l'animation suivante :http://www.profil-couleur.com/lc/001-couleur-moyen-age/les-couleurs-moyen-age.html
Bibliographie et ouvrages de référence
Sylvie Fayet, Le regard scientifique sur les couleurs à travers quelques encyclopédistes latins du XIIe siècle. Bibliothèque de L'Ecole Des Chartes, Volume 127, Partie 2
Alberti, De Pictura, traduit par J.-L. Schefer, Macula Dedale, Paris 1992.
Un blog sur la couleur ne devrait traiter que de pigments, de leur fabrication et de diverses applications concrètes mais nous aurons l'occasion d'y revenir de cas en cas au gré de démonstrations spécialisées.
La couleur étant aussi un concept abstrait, notre choix s'est porté sur un traité, le « De Pictura », écrit par Alberti en 1435, qui à notre avis, constitue un trait d’union entre recueils de recettes aux réminiscences anciennes et le discours des encyclopédistes qui obéissaient au besoin intellectuel d’ordonner le monde.
Une façon de rendre hommage à l’humaniste, pour sa façon d’avoir traité la peinture comme art libéral, avec près de deux siècles d’avance sur sa reconnaissance effective.
Sans nommer Constantin l’Africain qui faisait autorité la matière, Alberti se désintéressa clairement du processus physiologique de la vision dont le fondement aurait été l’esprit de la vision (Spiritus visibilis) « Ce ne fut pas une mince question chez les Anciens de savoir si ces rayons sortent de la surface ou de l’œil. Cette question est assez difficile et nous la laisserons donc comme nous étant sans utilité. ». (Livre I, §5)
Il laissa aussi de côté le débat des philosophes qui recherchaient les origines premières des couleurs « Qu’importe en effet au peintre de savoir comment une couleur est produite par le mélange de ce qui est poreux et de ce qui est dense, ou bien du chaud et du sec avec le froid et l’humide ».
Des savants du XIIIe comme Barthélémy l’Anglais (1) distinguaient, en effet, les couleurs naturelles des couleurs fabriquées car leur caractère artificiel les aurait empêché de les intégrer à une théorie d’ordre cosmogonique. Leur besoin de classification s’appuyait sur le texte fondateur d’Aristote et témoignait d’une réflexion scientifique sur le phénomène de la couleur que l’air illuminé était réputé prendre au contact de corps naturel. Elle combinait la structure linéaire entre les pôles noirs et blancs avec une gradation chromatique qui allait de clarté humide en rapport avec l’élément air à clarté sèche en rapport avec la terre. Le rouge étant au milieu. Barthélémy reconnaissait que la qualité de lumière passait par une infinité de degrés avec pour conséquence, une infinité théorique de couleurs.
Alberti partageait pleinement les repères universaux de couleurs dont les quatre éléments feu (rouge), air (céleste ou perse), eau (verte) et terre (cendre) fournissent la trame de référence puisqu'il ne considérait que quatre vrais genres dont résultaient de multiples espèces tandis que leur mélange avec du blanc ou du noir en produisait d’autres en nombre presque infini. (Livre I, §9)
Ces deux couleurs, les seules à être considérées comme pures, étaient placées par les philosophes aux extrêmes de cinq autres espèces mélangées. Alberti, quant à lui, ne les tenait que pour de simples modificateurs utiles à rendre l’ombre et la lumière, la mort de cette dernière entraînant celle de la couleur. Même s’il prêtait aux peintres la qualité de « doctus pictor » il n’en redoutait pas moins une immodération à vouloir tendre vers le blanc le plus pur ou le noir trop intense.
« Comme j’aimerais que l’on vende aux peintres la couleur blanche beaucoup plus cher que les pierres les plus précieuses ! Il serait même utile que le noir et le blanc proviennent de ces grosses perles que Cléopâtre faisait dissoudre dans du vinaigre : on en serait très avare et les œuvres n’en deviendraient que plus gracieuses et plus proches du vrai. » (Livre II, §47)
La réception des lumières et leur angle de réflexion comptaient d’avantage pour lui que la qualité. En cas d’interception du rayon lumineux, le report de l’ombre qui en résulte est proportionnel à la force de sa source, qu’elle provienne de la lune, d’astres comme le soleil ou l’étoile Lucifer, du feu et même d’une lampe. « S’il est réfléchi, il s’imprègne de la couleur trouvée sur la surface par laquelle cela se produit. » (Livre I, §11)
Dans sa dédicace à Filippo Brunelleschi, Alberti prétendait, en trois livres, faire sortir l’art des racines mêmes de la nature pour le mettre entre les mains de l’artiste et l’en rende maître.
Francis Besson, mars 2014
Francis Besson, mars 2014
(1) De proprietatibus rerum
Belle illustration du Livre XIX qui constitue un appendice sur les accidents ou la science de la nature : Dans cette distinction philosophique entre état et essence, la couleur relève du domaine accidentel. Les accidents spirituels étant des facultés ou des connaissances acquises.
BNF Français 134, fol. 385v, Flandre, 3-4e quart XVe siècle. |
Il est aussi intéressant de voir l'animation suivante :http://www.profil-couleur.com/lc/001-couleur-moyen-age/les-couleurs-moyen-age.html
Sylvie Fayet, Le regard scientifique sur les couleurs à travers quelques encyclopédistes latins du XIIe siècle. Bibliothèque de L'Ecole Des Chartes, Volume 127, Partie 2
Alberti, De Pictura, traduit par J.-L. Schefer, Macula Dedale, Paris 1992.
Très bel article ! Merci Francis.
RépondreSupprimerC'est vrai que la notion de couleur est tout à fait différente au Moyen Age. L'échelle des couleurs n'a rien à voir avec le cercle chromatique.
Claudine
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire encourageant.
SupprimerLe cercle chromatique de Newton se réfère aux critères d'harmonie de l'esthétique musicale suivant la gamme phrygienne qui furent finalement contestés.
Alberti illustre son discours sur la réception des lumières et leur réflexion par une pyramide constituée de triangles indépendants qui ont leur propre force de lumière. Chacune de leurs couleurs correspond à l'un des genres feu, air, eau ou terre décliné en une espèce. Il a l'habitude de se servir de preuves géométriques avec ses proches tout comme il le fait pour la méthode de perspective dont il est l'inventeur. Pour l'esthétique il ne s'avance qu'en proposant des critères d'amitié des couleurs, la vénusté ! Pourvu que l'on obtienne du relief par contraste de clair et de sombre.
En définitive, les deux personnages s'attachent, me semble-t-il à résoudre la même question de savoir combien on peut trouver de couleurs différentes par mélange et répondent par l'infini.